Pour commencer, entrons dans le vif du sujet avec un petit dossier inspiré du feu Overgame et qui date déjà de quelques années : on dit généralement que l'industrie du jeu vidéo a dépassé dans les années 2000 l'industrie du cinéma quelque peu à bout de souffle et surtout d'idées. Alors que le domaine du jeu vidéo, avec sa massification en ligne et les techniques du multimédia, regorge d'inventivité.
Depuis longtemps déjà certains concepteurs de jeu jouent en douce aux metteurs en scène de cinéma à travers leurs jeux vidéo. Récemment, ce sont des cinéastes accomplis qui se rêvent réalisateurs de jeu. État des lieux, part. I : Apprentis sorciers.
A l'heure des convergences technologiques forçant les convergences culturelles, il n'y a pas que le jeu vidéo qui se fasse infiltrer par un autre médium comme le cinéma. Presque aussi digital que le jeu vidéo, le cinéma à effets spéciaux se laisse lui aussi influencer plus ou moins maladroitement par l'ère numérique entre les mains des cinéastes de la génération interactive ou voulant faire moderne. Pour des résultats plus contre nature que satisfaisant. Quand quelques cadrages empruntés à Metal Gear Solid ou clins d'œil complices à Soul Calibur font sourire dans le film Le Pacte des Loups de Christophe Gans en 2001, son adaptation cinématographique trop littérale et vide de toute émotion (ni peur ni empathie) du jeu Silent Hillfait pleurer. Le cinéma récent emprunte ainsi au jeu vidéo des mouvements de caméra impossibles "en dur" comme les travellings invraisemblables qui survolent des millions de soldats pour venir filmer un point minuscule d'un gigantesque décor avant de repartir vers un horizon infini.
Des aberrations physiques qui fonctionnent bien dans Un Seigneur des Anneaux fantasmatique mais nuisent aux reconstitutions à vocation réaliste comme le Alexander d'Oliver Stone (2005). Contrairement au cinéma qui, jusqu'à ces dernières années, construisait le décor de façade nécessaire et suffisant au cadre prédéfini de la caméra, le jeu vidéo se fabrique des décors complets à 360° sans avoir besoin de penser où sera la caméra puisque, avant tout, le joueur lui-même y pénètrera avec son avatar ou, immergé jusqu'au cou, en vue subjective. Une fois l'environnement virtuel construit, la caméra, toute aussi immatérielle, peut s'installer n'importe où. Évidemment, au lieu de s'attacher d'abord à valoriser l'espace, les game designers s'amusent le plus souvent comme des nouveaux riches à faire virevolter leur nouvel outil de liberté et, loin de l'habile cinéma qui sublime tout avec peu, diminuent l'impact de ce qu'ils veulent montrer au lieu de l'amplifier.
Depuis longtemps déjà le jeu vidéo aurait dû faire appel à des cinéastes pour mettre en scène les séquences non interactives utilitaires ou, au minimum les storyboarder. Mais comme pour le scénario et les dialogues conçus de façon tout aussi amateur, officiellement pour des raisons de budgets mais surtout, par orgueil et culture artisanale persistante de l'homme orchestre, développeurs et éditeurs en font l'économie.
Et quand un réalisateur de jeu vidéo multitalentueux comme Hideo Kojima se laisse aller à de longues séquences non interactives dans ses Metal Gear Solid (trailers fameux ou même, in game), la virtuosité de ses mises en scène révèle surtout un amour immodéré du cinéma qui n'a fondamentalement plus rien à voir avec le jeu vidéo. Dans un MGS, des épisodes cinéma-manga succèdent à des séquences de jeu, et inversement. Le collage peut réjouir mais ne fait que renvoyer les deux médiums dos à dos. En cherchent à briser la passivité du spectateur en réinjectant une interactivité surprise et ponctuelle dans des séquences non interactives, les QTE (Quick Time Event) inventés par Shenmue (Dreamcast, 1999) sont peut-être recevables en tant que jeu vidéo quand ils se rapprochent assez du système des combos (enchaînement rapide d'actions sur des boutons) comme dans God of War, mais descendent aussi du malfamé et binaire Dragon's Lair quand il s'agit d'appuyer sur un bouton pour enchaîner, ou non, sur l'événement suivant, comme le maquille fort bien Resident Evil 4.
En 1981, le cinéaste alors trash John Waters avait proposé avec son film Polyester un procédé de visionnage interactif en Odorama digne du label QTE : une icône sur l'écran signalait au spectateur le moment de gratter telle ou telle surface d'un carton à renifler en regardant les images !
à suivre...